« Rica à Ibben, à Smyrne.
Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu'on soit logé, qu'on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu'on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.
Paris est aussi grand qu'Ispahan. Les maisons y sont si hautes qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres est extrêmement peuplée, et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras
Tu ne le croirais pas peut-être depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne. Il n'y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français : ils courent, ils volent. Les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d'allure, j'enrage quelquefois comme un Chrétien : car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la tête, mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour, et un autre, qui me croise de l'autre côté, me remet soudain où le premier m'avait pris et je n'ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j'avais fait dix lieues.
Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des moeurs et des coutumes européennes : je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que le temps de m'étonner. »
Lettres persanes - Montesquieu
Après plus de 300 ans rien n'a changé
Le quartier
Mon copain avait réservé un hôtel près de la Porte Saint Martin. L’hôtel est très correct et malgré le bruit incessant des ambulances, moi qui suit plutôt insomniaque, j’ai passé de bonnes nuits. Il faut dire que nous sommes toujours rentrés tard.
A ma connaissance, ce quartier correspond au Sentier. Des multitudes de vitrines sont celles de grossistes en vêtements. Dans la journée, on voit de nombreuses personnes charrier des rouleaux de tissus ou des vêtements finis sur des cintres. J’imagine ce qui doit se passer dans les caves de ces immeubles. Il doit y avoir de nombreuses machines à coudre utilisées par de petites mains pas toujours en CDI.
Lorsque nous sommes sortis du métro à Strasbourg Saint Denis, j’ai été intrigué par la présence d’une demi douzaine de blacks au demeurant très sympas juste à la sortie de la bouche.
Par le plus grand des hasards, une de mes connaissances parisiennes habite à deux rues de notre hôtel et donc connaît les us et coutumes. Ces blacks repèrent les filles de leur ethnie pour les diriger vers les nombreux salons de coiffure ou d’ongles du quartier. Je ne sais pas pourquoi il ne semblait pas y avoir de concurrence entre eux. Il doit y avoir une sociabilité que les blancs ne connaissent plus.
La misère ? Pas sur
A l’angle de la rue et du boulevard, un homme (j’imagine qu’il était jamaïcain) vivait là.
Il s’était construit un abri en cartons. Chaque matin, je l’ai vu ranger son abri à grands renforts de scotch. Il le mettait contre la chaussée pour ne pas déranger l’angle des deux rues ou se trouvait un magasin….de fringues. Le soir, il le déplaçait contre le mur à l’angle, se mettait à l’intérieur, déroulait une bâche et faisait brûler de l’encens.
La prostitution
Notre hôtel était situé à la fin de la Rue Saint Denis. Après avoir soupé dans le Marais (ou ailleurs), nous avons souvent remonté cette rue. Ce qui est marrant c’est que tous les « Clubs » ont pour enseigne le numéro de la rue où ils tiennent commerce. Il y a encore dans cette rue pas mal de prostitution. Les prostituées sont principalement étrangères et ont leurs places attitrées. Elles n’ont aucune agressivité et passent leur temps à discuter entre elles en attendant le client (plutôt rare mais il n’était qu’entre onze heures et minuit quand nous passions).
Les petits métiers
Tous les soirs, devant la bouche de métro, un jeune homme installait un caddie dans lequel se trouvait un brasero (une grosse boîte de conserves) sur lequel il faisait griller des épis de maïs.
Ses affaires avaient l’air de plutôt bien marcher.
J’ai bien aimé ce quartier populaire. Le mélange de tous ces gens venus de tous les coins de la terre a l’air de bien se passer. Est ce vrai ? En tout cas dans ce coin là de Paris, j’aimerais le croire. L’intégration à la française sans les ghettos à l’anglo-saxonne.
Moi qui me demandais toujours ce qu'attendaient les blacks à la sortie du métro... J'ai enfin l'explication ! Merci ! :-)
RépondreSupprimerLes Lettres Persanes restent d'une actualité redoutable. Celle intitulée "les caprices de la mode" (toujours à propos de la France) en est un autre bon exemple.
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